Avant d'entrer, l'ambiance rôde déjà. Un rythme qui méduse, enveloppé d'une fumée chaude et habrillé par une lumière chancelante, celle du feu, des chandelles. On sent que ça ne se passe pas sur terre. Des cris. Un attroupement à la porte, à la fenêtre: sur quoi donne-t-elle? Je suis content de ne pas être seul, c'est mon baptême voodoo.
Une phrase d'Hermann Hesse me passe par la tête: "L'entrée coûte la raison". Nous entrons. Des draps étendus presque partout, des chandelles et des offrandes, cigars, rhum, papayes, gâteaux et mamahuana (sorte d'alcool locale); il faudra nourrir les esprits. Trois portraits d'iconographie catholique trônent sur la table, en face d'une affiche de Rambo, mais le syncrétisme s'arrête aux portraits. Une grosse femme, toute en rouge vêtue, deux hommes torses nus et tous les autres qui les regardent, entre le rire et la peur. Pour les enfants, c'est la peur. Un petit vient me voir, les yeux épouvantés, pour savoir s'il y a aussi un diable en moi. Les trois maîtres, aux lèvres rougies par le sang de poulet, boivent, et mangent, et dansent, et crient: on me dit que les esprits sont arrivés par les chandelles. Nous, on boit, quittant peu à peu le monde des bateys et des cannes à sucre. Souvent, je croise les regards des possédés, rouges de nervures, vitreux mais vifs, brûlés mais prêts, comme s'ils ne savaient pas ce qu'ils étaient capables de faire, à l'instant.
Le plus possédé d'entre eux sort dehors, allume des petits feux avec de l'huile, s'assoit et mange de la terre, car il ne vient pas d'elle. Plus tard, il lèchera la lame d'une machette affûtée, sans saigner. Puis une femme s'approche de la grosse dame rouge et les deux commencent à danser, endiablées, en tournant. Un esprit prend la femme, et alors la transe l'épilepsie la frénésie les convulsions fusent de partout, quand les témoins tentent de la protéger d'elle-même, ou plutôt de l'esprit.
On dirait un théâtre de dieux incarnés, une scène d'improvisation où les maîtres ne jouent pas; ils sont. Sur un des portraits, on peut voir un enfant, avec une croix autour de laquelle s'enroule une couleuvre. C'est Santa Culebra: l'homme que cette divinité possède parle avec une voix d'enfant. Plus tard, on m'a justement invité à donner du gâteau et du rhum à l'incarnation du bambin: j'ai nourri un ange.
Tranquillement, la soirée s'est évaporée dans les lueurs de la fumée et de l'alcool. Je n'étais plus du monde quotidien, comme si on parlait ici d'éternité, sans contrôle, conjuguant le monde illimité des esprits aux restrictions terrestres: voilà peut-être la raison pour laquelle certains les appellent des fous, imaginez un peu que vous êtes un dieu qui peut faire ce qu'il veut, et que vous vous retrouvez pris dans un corps humain. Normal alors, d'agir comme à l'habitude, de faire n'importe quoi.
Les cérémonies sont les temps d'une autre dimension, où justement il n'y a plus de temps, ni de filtre: les Haïtiens ont certainement inventé le surréalisme avant le surréalisme: le voodoo. Voilà qui me convainc, une fois de plus, de la proximité entre l'art et la spiritualité, pas vraiment dans la manière, mais davantage dans ce qui les anime: l'indicible peut-être, les mystères du dedans, ultimement la quête d'un sens à la vie, des pistes: mon ami Espagnol s'est fait dire par Santa Culebra "qu'il croyait trop les gens", qu'il avait trop foi en la bonté du monde... Une divinité a parlé.
Tony et moi invoquerons Legba, divinité des voyageurs, tout au long du périple haïtien, nos rites ne vous serons pas cachés.
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