mardi 31 janvier 2012

Beware of the bear



"When entering Yellowstone National Park, I saw this sign: beware of the bear. And something clicked when I saw it: there's the problem! There is the whole hang up that stops me from writting, that stops people from singing, that stops people from living. Beware of the bear, what did that use to mean? It used to mean be aware of the bear, now it means be scared of it" - Ken Kesley

Merci à Greta de Lituanie pour le conseil d'écouter ce film, Magic Trip. 

Sur le bord de la route du Bon Citoyen, avez-vous vu les pancartes "Beware of drugs", "Beware of hobos", "Beware of strangers", "Beware of the dark", "Beware of everything you don't know yet"? Imaginez un peu vivre dans la peur constante, vivre en se faisant des angoisses avec des choses qui ne sont même pas encore arrivées. Peut-on encore appeler cela "vivre", suffit-il simplement de respirer pour réaliser ce verbe d'action?

La nuance est importante. To be aware, c'est d'être conscient d'une possibilité, to be scared, c'est dans ce cas de réagir par anticipation, certains Bush diront par prévention: le jugement tombe avant le procès. Nous sommes alors en dictature du repli, de l'immobilité, de la stagnance. Bref, il est normal d'anticiper, d'avoir une idée avant de rencontrer, mais pourquoi ne pas rester ouvert, le plus longtemps possible? Et si la noirceur, cet ennemi qui pour les enfants se trouve partout dehors, et pour les adultes partout en dedans, si la noirceur contenait tous ces continents qu'on a un jour rêvé d'explorer? Si l'étranger n'était pas, au fond, un ami qu'on ne connaît pas encore? Et si certaines drogues qu'on pourfend à coup de milliards pouvaient servir d'outil pour mieux se connaître? 

L'idée, c'est d'emballer notre curiosité, d'exalter nos questionnements, d'être au courant du plus grand éventail de possibilités (clin-d'oeil à Shane), "to look at instead of looking for" (Magic Trip). User de notre imagination, se rendre, écouter, se laisser prendre au jeu de l'incertitude, plutôt être au courant de ce qui peut arriver que certain de ce qui va arriver: parier sur nos cartes. N'est-ce pas un peu cela, la liberté?

dimanche 29 janvier 2012

Time and being



Loin, loin de moi la volonté de parler du philosophe Heidegger, il faudrait pour cela que je lise son livre Time and being huit fois, et comme me le dirait certainement mon ami Binot; "Tu ne peux pas vraiment comprendre un philosophe sans avoir lu tout ce qui a été écrit avant lui" (donc probablement de Socrate à Husserl). Tâche immense, travail de moine, dopage intellectuel, vocation, vie(s) entière(s). 

Non en fait, j'étais assis dehors, un peu après l'heure des chichiguas, ce moment de la journée où les enfants règnent sur le ciel avec une armée de cerfs-volants, et une question m'est venue à l'esprit: qu'est-ce que le printemps quand l'hiver paraît comme un été?

La question se posait, après tout, un "Canadien" était nu-pieds sur le perron, à l'aise en janvier. Je me suis simplement dit que le printemps était une entente collective sur les limites d'une période de l'année. Rien à voir avec les températures, ici les chiffres importants, ce sont les dates. Un peu comme avec l'âge non? À sept ans, la raison, à seize, le permis de conduire, à dix-huit, le vomis légitime... On se fiche de la température humaine. La collectivité s'impose des moments symboliques importants, et à la longue, ses membres se délestent de leur jugement pour finir par se fier seulement à une subjectivité qu'ils se représentent comme objective.

Ainsi mesure-t-on la maturité avec des nombres, mais la conversation ne serait-elle pas un meilleur outil si l'on désire vraiment la mesurer? Vous allez me dire, mais Olyvier, un gouvernement ne peut pas faire une telle chose! En effet, et justement! Je m'explique, on s'attèle. 

À force d'utiliser les mesures du temps pour évaluer le cheminement d'un individu (efficacité collective, mais facilité individuelle), ne se décharge-t-on pas du souci de voir l'autre grandir, dans ses idées, ses expériences, son vécu? Il y a contagion des habitudes collectives au niveau personnel, pire, une épidémie. Nous campons le mouvement dans le temps chiffré, et non pas dans l'humain (sauf au niveau du corps: tel âge, tel aspect). Quand je dis mouvement, je pense au cheminement des idées de quelqu'un, de ses sentiments, de ses émotions, bref, de ce qui l'anime (la température humaine, le temps vécu). Mais on ne peut compter ce mouvement: le temps des dates, oui. 1-2-3-4 sera toujours plus facile que "Alors maintenant, comment te sens-tu, que penses-tu faire, qu'est-ce qui te tracasse, t'anime?". Tout ça sans parler des pressions sociales que l'on rattache à l'âge compté (tel âge, telle étape)... Bref,  c'est la dictature du nombre.

À quand le temps vécu, la proximité du partage?

samedi 28 janvier 2012

La main qui n'a pas caressé




C’est arrivé il y a deux semaines, mais parce que les jours sont chargés comme des semaines, j’ai l’impression que c’était le mois le passé. Le souvenir n’est pas moins vivant.

En me rendant au batey Euscarduna avec mes collègues, cheveux au vent sur une moto rouge, allègre au soleil, je pensais simplement aller prendre des photos de familles pour un projet d’aide, sans plus.

Après quelques photos, une mère a envoyé un de ses petits pour aller chercher ses frères. Bam! Il est parti à courir vite vite, après tout, il était chargé d'une mission, mais ce qui devait arrivé arriva: il a trébuché. Douleur, sanglots, bref, un classique qu’on ne souhaite pas, mais qui est presque inévitable à cet âge.   

Je n’ai pas été incroyablement marqué par cet évènement, même si je voyais le reflet cataclysmique de l’égratignure dans ses petits yeux salés. Non, ce qui m’a jeté à terre, d'un coup, c’est plutôt ce qui ne devait pas arrivé, dans mon imaginaire naïf, mais qui arriva malgré tout: la mère s’est dirigée vers l’enfant, non pour en prendre soin, mais pour le frapper à la jambe (celle qui n'avait pas d'égratignure). Paf. J’étais sidéré. Il pleurait déjà, maman en a rajouté. Je ne savais pas quoi faire, j’étais l’étranger, aurais-je dû intervenir dans ce contexte où je ne connaissais personne? Jusqu’où dois-je en vouloir à la mère? Je me le demande encore, où est ma limite, le moment d'intervention...

La première chose que j'ai faite en revenant, c'est écrire, sortir les remous, voir les mots pour les articuler; à l'intérieur c'était le bordel, vous savez, ces questions qui viennent après un jamais-vu, un impensable. Puis j'ai imaginé ce qui pourrait ne pas se passer si ces gens avaient accès à une certaine éducation, ou du moins, à de plus grandes relations avec le monde extérieur (les bateys, ces villages perdus dans les champs de cannes à sucre, ressemblent à des prisons pour Haïtiens: jamais assez bien payés pour partir), surtout qu'on m'a dit que c'était commun, ce genre de comportement. Je dois le croire, croire qu'une certaine éducation peut faire une belle différence sur le rôle qu’on donne à nos mains. 

Trouvez l'erreur, sur la photo. 

mercredi 25 janvier 2012

Dieu pour l'un, inspiration pour l'autre

Cette république n'est pas une république
c'est un Royaume

Il ne se passe pas un jour qui ne soit pas celui du Seigneur (je vis en République dominicale). Il ne se passe pas une phrase qui ne se termine pas par Dieu (il a toujours le dernier mot), amen.

J'ai mangé ce soir, gracia a Dios, mais qui remercie-t-on d'autre que ce que nous ne comprenons pas de nous-mêmes?

Et si cet indicible, ou "le subtil" comme le dit Shane, c'est à dire tous ces mystères faits d'intuition, d'émotions et de sentiments qui nous habitent et nous animent, si cet indicible que les artistes tentent d'exprimer sous une forme ou une autre était ce que les catholiques appellent Dieu?

Je vais loin en tissant ce parallèle. Claro. Mais depuis que je baigne dans un milieu pratiquant nourri de discours religieux, l'idée me grise sans pour autant que je titube. Quand ils disent "Sois à l'écoute de ton coeur et Dieu te parlera", j'entends "Plonge dans tes profondeurs et inspire-toi".

Une incertitude, une angoisse de ne pas savoir, deux manières de la vivre. Dans la noirceur, nous sommes tous pareils, aussi vulnérables les uns que les autres, mais une distinction s'impose: j'ai bien l'impression que les catholiques tendent davantage à vivre dans un monde de réponses, tandis que ceux qu'on appelle les artistes assumeraient plus d'incertitude, s'orientant plutôt avec des questions, ces roses des vents, dans une vaste odyssée. Ainsi, le monde religieux paraît limité, et le monde de l'art, démesuré comme un mouvement: le premier laisse peu de place à la créativité, le second en dépend. De l'Enclos, ou de tout ce qui peut s'imaginer, qui est le plus grand?

Certainement, la foi est d'une puissance impressionnante, elle permet de passer à travers moult réalités rudes et voraces, mais comme on le sait trop, il arrive que certains la tordent jusqu'à étrangler, d'une Main absolue à portée d'infini, l'ampleur de ces questions qui animent le commun des mortels (je m'éloigne du sujet, mais bon, tant qu'à y être). Ainsi plusieurs passeront le clair de leur vie à vivre pour ce qui viendra après elle, suivant les préceptes de ceux qui connaissent la "bonne parole", c'est à dire la bonne interprétation d'une poésie de téléphone arabe, hébreux, grec, latin et j'en passe, écrite sur des millénaires (comme mon ami Tony le dit, la Bible a gagné le Goncourt de l'Antiquité). Parlant d'elle, il faudra bien que je me mette à la lire, cette Bible au nom de laquelle tant de livres ont été mis à l'index, et qui maintenant l'est à son tour, du moins tacitement, en Occident. Pourtant il y a beaucoup de racines là-dedans, même si on ne veut pas toujours l'admettre.

Cela dit, la racine répond-t-elle mieux que la branche?

mardi 24 janvier 2012

Les Colibris de l'Apparition

La première fois que j'en voyais un, et il se trouvait à portée de bras. On aurait dit une image au ralenti, suspendue, un instant dont on doute de l'existence, comme quand on croise le regard d'une demoiselle en mouvement et qu'on s'accroche à la plénitude du moment le plus longtemps possible pour savoir si on peut y croire.

Vous savez, un phénomène fascinant chez le colibri est qu'il transforme chaque centimètre cube d'air en perchoir; imaginez si vous pouviez vous percher sur tout ce que vous voyez, et tout ce que vous ne voyez pas. 

Ils peuvent se poser partout. C'est cette magie même qui hypnotise les regards, et suspend le temps des témoins. Étant maîtres de l'espace et des délais, donc des suspensions, les colibris sont sans doute des fées déguisées. Ainsi peuvent-ils boire le nectar, bourdonner d'un vol soyeux, refléter des lueurs subtiles, et se faire méprendre pour des apparitions.

Cannes, en sucre

À l'ombre du monde, un labeur sous le feu.

ces cannes,
en sucre de carence
sur lesquelles on peut à peine       s'appuyer

gâtent les rêves, creusent les sourires
sans les empêcher
d'inspirer 

Mes yeux parleront de vous. 

Intro

Quand je pense à la République, je bois, systématiquement,
quand je pense à la République, je bande et, je bronze et quand j'y pense encore, bon dieu je vois la mer

Je ne suis pas ici pour blâmer le touriste, d'autres le feront (la critique reste nécessaire). Plutôt partager, parler de cette crudité que je vois à l'oeil et à l'âme nus, de ces drames et sourires qui défilent devant moi, en moi. Quand voir devient vivre. Quand un quelque chose s'agite, un sentiment subtil, car difficile à exprimer, mais puissant aussi, car impossible à ignorer, un quelque chose qui, je le sens, me reliera au monde.

Vous savez, il suffit de détourner son regard de la mer en carte postale pour l'orienter vers les terres en sueurs, vers ceux qui en vivent et qui y survivent, pour commencer à réaliser l'ampleur de la mise en scène. On ne sait pas assez qu'ici, l'air est sucré par les fourneaux de glucométamorphose, que les étoiles se pavanent en ville, qu'Haïti habite dans les champs de cannes à sucre, que des musiciens jamment durant la messe, que les colmados (dépanneurs) possèdent des haut-parleurs plus gros qu'une vache, on ne sait pas assez qu'ici, dans les terres, on n'a pas besoin de maquiller pour apprécier. Cela dit, tout le monde ne connaît pas le rose.

Ces cahiers dominicains témoigneront de ce qui se passe. En moi ou ici, je ne sais plus trop où est la frontière, et à vrai dire, on s'en fou. Si je les appelle dominicains, c'est pour me donner un point de départ, et non pas d'arrivée. Toutes les pensées ne mènent pas ici; je les suivrai, avec vous. Comme le dit Laferrière, "J'écris dans la langue de celui qui est en train de me lire". Have a nice ride.